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Des barrages aux voyages, un destin rare : le portrait de Caroline Riegel TP97

17 novembre 2023 Association
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Rencontre avec Caroline RIEGEL TP97, par Florence Quignard B77

Caroline, après un double diplôme en Allemagne, a choisi de construire des barrages à travers le monde. À 30 ans, elle part seule traverser l’Asie au fil de l’eau en 22 mois, du lac Baïkal au golfe du Bengale, et revient avec un premier récit et un travail photographique.

Elle retourne régulièrement au Zanskar (Inde) et de ses amitiés himalayennes est né le film Semeuses de Joie.

Elle s’est engagée dans l’humanitaire, a créé une association, réalise des documentaires et donne de nombreuses conférences tout en poursuivant sa carrière d’ingénieure. Caroline a remporté en 2019 le trophée « Femme Révélation » lors des 4es Trophées ESTP au féminin.

❝ Parle-nous de tes études ?

Avec des parents professeurs de mathématiques, mon chemin semblait tout tracé sur une voie scientifique : les classes préparatoires puis une école d’ingénieur. C’est en innovant le double diplôme de l’ESTP à Stuttgart, en Allemagne, alors que n’existait que le programme Erasmus, que j’ai pris conscience de l’importance d’oser sortir des sentiers battus. Pour cela il fallait apprendre à convaincre, à rassembler les énergies, avoir des projets clairs.

Cette première immersion en terre voisine, néanmoins étrangère, fut une révélation : l’immersion dans une autre culture de langue différente est d’une richesse inouïe. Par la suite, j’ai profité des liens familiaux pour une expérience aux États-Unis. Alors qu’on m’y offrait une embauche, j’ai refusé un avenir qui semblait tout tracé, préférant également le monde de l’hydraulique (qui était mon secteur de fin d’études en Allemagne) à celui du bâtiment.

Gabon, chantier de Kinguélé, 2002

Avec les nonnes de Tungri, 2007

❝ Comment ta carrière a-t-elle commencée ?

Je suis entrée par hasard dans le monde passionnant des barrages, les chantiers surtout. Un premier où, seule, j’ai supervisé, avec ISL côté maîtrise d’œuvre, la construction d’un des derniers grands barrages en France, fut celui de la Galaube dans la Montagne Noire. A suivi un second en pleine forêt vierge gabonaise où, une fois encore, seule femme et ingénieure, j’ai supervisé le chantier de Kinguélé. De cette folle aventure, un véritable choc culturel cette fois, est né le récit Éclats de Cristal (éditions Phébus), qui raconte autant l'aventure humaine que technique.

À 28 ans, on ne ressort pas indemne d’une telle expérience, d’autant qu’à cette époque n’existaient, en pleine brousse, ni internet, ni le téléphone. De ma forêt gabonaise, j’ai choisi de rentrer par voie terrestre : prendre le temps de passer d’un monde à un autre, d’un espace-temps au suivant, de la jungle des arbres à celle des villes. J’ai alors pris conscience que, si mon travail offrait des opportunités remarquables et passionnantes, il me revenait d’aller plus loin encore.

 

À 30 ans, telle une goutte d’eau pérégrine, je suis partie, par-delà les plus beaux horizons d’Asie, vivre les caprices de l’eau, des confins du Baïkal jusqu’au golfe du Bengale

Pendant 22 mois, avec un chameau, un âne, deux chevaux, une bicyclette indienne... je me suis adaptée au plus près des populations locales qui vivent et subissent les caprices de l’eau sous toutes ses formes (lac Baïkal, désert de Gobi, chaîne des Kun Lun, Himalaya et fleuve gelé, Gange sacré, Bangladesh inondé, Mékong voie fluviale).

Au coeur de ce voyage, j’ai vécu mon premier hiver himalayen et rencontré les nonnes de Tungri (dans le Zanskar, au nord de l’Inde), femmes remarquables dont l’amitié, la joie et la générosité ont changé le cours de ma vie. Rarement avais-je côtoyé des personnes, qui plus est un groupe de femmes, si proches de leurs valeurs au quotidien. Au moment de les quitter, en larmes, je leur ai fait la promesse de revenir. C’était sans imaginer jusqu’où cette amitié nous mènerait.

Avec les nonnes de Tungri, 2007

Soudan du Sud, avec ses collègues du CICR, 2011

Barrages, voyages, et tu retournes aux barrages…

Entre temps, en France, d’autres rencontres m’ont remis le pied à l’étrier de mon métier d’ingénieure en constructions hydrauliques, au sein de la remarquable équipe « barrages » de Sogreah, devenue Artelia depuis 2012 Une expatriation au Québec, une autre au Pakistan puis en Équateur, m’ont offert d’autres aventures passionnantes, et autant d’occasions d’apprendre quelques langues étrangères supplémentaires.

 

Un autre univers me titillait : celui de l’humanitaire. Ainsi, en 2011, avec le CICR (Comité International de la Croix-Rouge), j’ai vécu l’indépendance d’un pays qui défie les imaginaires, le Soudan du Sud, sur les rives du majestueux Nil Blanc, à essayer d’améliorer l’accès à l’eau potable des tribus nilotes.

Le Zanskar n’était jamais loin. Au fil du temps et de l’intimité partagée avec mes amies, je leur ai fait une seconde promesse : les emmener découvrir leur vaste pays, l’Inde. Certaines n’avaient jamais quitté leur vallée ; j’étais leur rapporteuse du vaste monde. Le film documentaire que j’ai réalisé Semeuses de Joie (www.carolineriegel.org), raconte cette promesse et ce voyage effectué en 2012. Pourquoi un film ? Tout simplement parce qu’il est le seul outil de mémoire au langage universel qui pouvait être utile à elles autant qu’à moi. L’incroyable succès de ce documentaire, couronné de 9 prix et diffusé sur France 5, nous a permis de surpasser tous les rêves imaginables de mes amies.

❝ Parle-nous encore de tes voyages, de ce qu’ils t’ont apporté

En voyageant, j’ai mesuré la chance que j’avais eu d’avoir pu étudier tant de choses aussi diverses que la physique ou la philosophie dans un système public de qualité ; également celle d’avoir un métier, d’avoir des choix, d’être libre de penser, de parler, de bouger, de voyager…

Avec l'armée chinoise, Kunlun 2004

Me confronter à différentes réalités m’a aussi amenée à comprendre combien notre monde et notre éducation font la part belle à l’esprit de compétition, à l’efficacité, à la réussite à tout prix, de façon disproportionnée à l’égard des valeurs à caractère universel que sont la bienveillance, la fraternité, la loyauté, la générosité...

 

Travailler dans le monde de l’humanitaire m’a obligée à accepter qu’on ne puisse pas toujours envisager l’efficacité rêvée par notre monde moderne. Enseigner dans l’Himalaya (j’y ai enseigné 6 mois les mathématiques, l’anglais et les sciences à l’école gouvernementale de Tungri) m’a incitée à mesurer combien cette volonté de classer les gens semblait inopportune dans un espace qui n’avait jamais connu aucune compétition, aucune violence, aucun heurt depuis des siècles ; un monde où les hommes étaient contraints de vivre dans une harmonie remarquable, du fait de leur croyance bouddhiste et surtout de la nécessité de faire face à la rudesse himalayenne d’une vallée reculée et nichée à plus de 3500 m. Durant mon voyage, j’ai été profondément touchée par la générosité de la plupart des gens rencontrés, pour certains très modestes.

 

Au Zanskar, après 10 années d’immersion et d’amitié, de compréhension des règles et des équilibres locaux, d’appréciation des subtilités d’une culture ancestrale, de ses limites également, j’ai été amenée à mener mes premiers projets de développement au travers de l’association THIGSPA (www.carolineriegel.org/lesrealisations/).

D’abord destinée à partager les éventuels bénéfices du film, l’association a vite trouvé sa raison d’être au travers de l’ouverture, par les autorités locales de conservation de la culture bouddhique (CIBS), d’une école à la nonnerie pendant notre voyage en Inde. Le CIBS prend en charge les salaires, pas les infrastructures. Au retour de notre voyage pèlerinage, c’est donc un avenir qu’il a fallu prendre en main.

 

L’association est également soutenue par la Fondation Artelia, qui a intégralement financé la centrale solaire, une partie de l’école et assumé mes frais de mission et ceux de l’architecte avec qui j’ai travaillé. Aujourd’hui, je ne souhaite faire ni choix de carrière, ni sacrifices quant aux différents mondes que j’ai eu la chance de côtoyer. Dans chacun de ces univers, de l’ingénierie à l’écriture, je me suis réjouie de rencontrer des gens de valeurs, de convictions, qui dépensent leur énergie sans compter pour un monde plus juste. Je leur en suis infiniment reconnaissante, car ils m’aident à garder le cap lorsque l’horizon est brumeux. J’ai conscience des limites de mes choix, mais je ne peux ignorer l’héritage si précieux de tous ceux qui m’inspirent et parmi lesquels je ne citerai que quelques noms célèbres : Gandhi, Mandela, Martin Luther King, Vandana Shiva, Ella Maillart, Bernard Ollivier, les nonnes de Tungri...

Pour en savoir plus, découvrir et soutenir les actions menées par Caroline au Zanskar, ou se procurer ses livres et ses films :

Découvrez son dernier livre "Une histoire des grandes exploratrices"

Coup de projecteur sur des visages féminins de l’histoire de l’exploration, d’hier et d’aujourd’hui. Une façon de revisiter une histoire habituellement accordée au masculin.

Elles s’appellent Alexandra David-Néel, Anita Conti, Jane Goodall, Ella Maillart, Gertrude Bell, Katia Krafft. Elles sont orientalistes, océanographes, éthologues, sportives, espionnes, volcanologues. Comme les quarante-cinq autres exploratrices et aventurières du livre, elles ont réussi à aller au-delà des océans, des crêtes, des déserts, à dépasser les frontières. Toutes les frontières. Y compris celles que la société de leur époque impose aux femmes. Y compris celles de leurs propres peurs. Il est des visages plus méconnus : on oublie souvent que l’expédition de Bougainville comptait une femme, Jeanne Barret, qui dut se déguiser en homme pour monter à bord. Elle fut la première à faire le tour du monde. Ce volume ménage aussi une place à des figures non occidentales, telle l’Iñupiat Ada Blackjack, qui survécut à l’expédition catastrophique de l’ethnologue Vilhjalmur Stefansson sur l’île Wrangel en Arctique en 1921. Ce livre n’est pas écrit par une exploratrice de papier, mais par une grande voyageuse, Caroline Riegel. Cela donne cinquante portraits forts et engagés (dont celui de l’auteure).

L'Ingénieur Constructeur N°556 - Octobre - Novembre 2020

Mis à jour en Novembre 2023

©Photos : Caroline Riegel




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